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Mondial : avec le Qatar, la fin du football tel que nous le connaissions ?

Fierté arabe et mutation sociale.

Cette coupe du monde a vu pour la première fois une équipe d’un pays arabe passer en quarts de finale, et ce n’est peut-être pas encore fini… Tout commença avec une victoire inespérée de l’Arabie Saoudite contre l’Argentine, celle de la Tunisie contre la France, et bien sûr la montée du Maroc en quarts de finale après une belle victoire contre le Portugal. Les foules des pays arabes sont descendues dans les rues, criant leur joie, et exprimant leur fierté, le drapeau palestinien brandi dans toutes les occasions, comme symbole de la résistance, et pas forcément uniquement contre l’État d’Israël. Les commentaires sur les réseaux sociaux ne cessent de parler de renouveau, même de panarabisme, et aussi de religion, c’était inévitable.

C’est que le Qatar avait bien fait les choses. Retransmission en direct sur Al Jazeera, non pas des matchs qui eux restent payants, mais des spectateurs un peu partout dans le monde, tous unis pour soutenir les équipes du monde arabe, ou alors sagement assis dans les grands stades frigorifiés des alentours de Doha, ou même dans les rues aseptisées de la ville nouvelle de Lusail où les fans fêtent gentiment les victoires de leurs équipes.

On comprend ainsi, avec ce mondial pas comme les autres, que la culture du football est en train de changer, plus de débordement des foules en liesse, mais des embrassades entre les joueurs et leurs mamans montrées et remontrées sur les réseaux sociaux. On en oublie les différends et on se réconcilie autour du sport. Du coup, beaucoup de jeunes Tunisiens préféreraient maintenant immigrer vers les pays du Golfe que vers l’Europe.

Ambiance morose du côté européen.

Mais tous les amoureux du foot n’apprécient pas cette coupe du monde. Pour certains, surtout les Européens, elle a un gout un peu fade. Des internautes la comparent avec une autre pour eux mémorable, 2006 en Allemagne. Une coupe du monde, bien sûr, menée par les équipes européennes, victoire de l’Italie sur la France, suivis de l’Allemagne, le Portugal et l’Angleterre. On s’y est bien amusé, car pour l’occasion, les grandes villes auraient fait venir camion après camion de tonneaux de bière, pour apaiser la soif des supporters, et la rumeur dit que des milliers de prostituées se seraient même déplacées d’autres pays européens pour aider à fêter les victoires européennes. Nous sommes loin de l’ambiance bon-enfant de 2022 avec son interdiction de l’alcool sur les stades.

Critiques acerbes contre le Qatar.

Mais là ne s’arrêtent pas les critiques de la coupe du monde 2022. Abus au niveau des droits de l’Homme, interdiction des équipes de porter des brassards LGBT car, c’est connu, le Qatar criminalise l’homosexualité. Sans oublier l’absence de droits fondamentaux pour les femmes et les travailleurs immigrés dont, en dix ans, 6500 auraient trouvé la mort sur les chantiers des grands stades. Donc, beaucoup disent vouloir boycotter la coupe du monde et la plupart des grandes villes européennes ont même refusé d’installer des écrans géants pour retransmettre les matchs en direct.

Coupe du monde vraiment neutre en carbone ?

À cela, il faut ajouter le non-respect flagrant du Qatar de l’environnement. D’après une étude de la Fédération Internationale de Football Association, FIFA, la coupe du monde 2022 devrait produire jusqu’à 3,6 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Comparativement, la France en relâche 4,2 millions… par an, une catastrophe écologique évidente pour une coupe du monde qui peut-être n’aurait pas dû se faire dans une région à risque du point de vue écologique telle que le Qatar. Enfin, dans ce domaine nous sommes loin, encore très loin, de l’aberration à venir de voir l’Arabie Saoudite tenir en 2029 les jeux d’hiver asiatiques, qui devraient couter 500 milliards de dollars (le budget de la Tunisie pendant quarante ans), sous la forme de deux immenses buildings, un total de 170 km de béton au plein milieu du désert.

Scandales financiers.

Les critiques du mondial ne s’arrêtent pas là. Le Qatar aurait payé de larges sommes afin de recevoir la coupe du monde dans son pays. Certains pointent du doigt le directeur de la FIFA, Gianni Infantino, marié avec une Libanaise et vivant une grande partie de l’année justement au Qatar et qui dans le passé aurait été impliqué dans des affaires de corruption. S’ajoute à cela la mise en examen d’Eva Kaili, l’eurodéputée grecque accusée d’avoir reçu de l’argent illégalement du Qatar et chez qui les policiers auraient retrouvé quantité de sacs de billets dont elle ne connait pas, soi-disant, l’origine. Les scandales continuent d’apparaitre, radicalisant les critiques de plus en plus acerbes de cette coupe du monde.

Deux visions du sport qui s’entrechoquent.

Peut-on réconcilier les deux ? Celle d’une fraternité retrouvée, d’une joie simple où les oubliés du football ont enfin une chance d’exprimer leur joie ; et la rigueur, bienpensante, et sûre de soi, d’une Europe qui semble se refermer sur elle-même ? Leila Slimani, l’auteur franco-marocaine, prix Goncourt 2016, et vivant entre deux pays, nous dit que la victoire de la France sur le Maroc ou vice-versa (match de demi-finale ce soir, mercredi 14 décembre 2022) n’a pas forcément d’importance, et que peut-être les vrais gagnants ce sont les binationaux, ceux acceptant les deux cultures.

Frederic Mondlange

Source
Le MondeBBCFrance 24The GuardianL'Equipe
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