Ukraine sous le feu de l’intox, devait-on s’attendre à plus ?

Le monde entier avait amplement le temps de voir arriver la couverture médiatique de la guerre en Ukraine. Glués devant nos ordinateurs ou IPhones nous nous étions préparés à devenir les témoins des coups fourrés des armes de désinformation massives, et observer de spectaculaires opérations d’influence mise en place des deux côtés. Mais rien de vraiment intriguant n’a eu lieu ; pourquoi ?
Première guerre TikTok.
Et pourtant les outils nécessaires étaient à la disposition des belligérants afin de se préparer pour cette première « guerre TikTok », comme disent certains.
La Russie a une longue expérience dans le domaine de l’intox. Elle remonte à la Deuxième Guerre mondiale (ou même avant), et le concept de maskirovka, la désinformation militaire, puis le Zersetzung, la décomposition de l’idéologie de l’adversaire planifiée par la Stasi Est-allemande et le KGB pendant la guerre froide. Ces pratiques ont été reprises plus tard par l’Internet Research Agency d’un proche de Poutine, avec ses fermes de trolls, et autres moyens de persuasions russes qui auraient exercé une influence sur les élections américaines de 2016.
L’Ukraine, où 85% de la population est connectée, un pays en pointe dans le domaine du hacking et autres méthodes de guerre cyber, aidée par le groupe international Anonymous, mais aussi par le reste de l’Europe et les USA, avait, elle aussi, tous les outils nécessaires pour se battre virtuellement contre l’adversaire russe.
Certes, des opérations psychologiques ont eu lieu : le président ukrainien, ancien acteur, mal rasé et portant un simple t-shirt kaki afin de bien montrer son rôle de chef de guerre—toujours en première ligne—était de mise. Les vidéos des prisonniers russes aux mains des Ukrainiens et appelant leur mère en pleurant a eu apparemment un effet émotionnel sur la population russe qui n’a pas oublié les horreurs de la guerre en Afghanistan (1979-1989) et plus tard en Tchétchénie. Les plateformes de propagande se sont rapidement mises en place, avec chants patriotiques des deux côtés. On se souvient du Z de soutien à l’armée russe. Les deux couleurs bleu et jaune de l’Ukraine sont montés en épingle, et le « fantôme de Kiev » un pilote de chasseur de combat ukrainien devenu « as » (cinq victoires homologuées) en une journée, apparemment un « pseudo-fake », a servi à forger le moral des ukrainiens. Il y eut même de faux et de vrais leaks sur les combattants étrangers rejoignant la défense de Kiev et aidés par des armes européennes ; une Kiev assiégée, mais, comme le montre un reportage récent de la chaine Arte, où on se croirait à Madrid, du côté républicain pendant la guerre civile espagnole. Même apparente effervescence de la jeunesse et volonté de se battre, mais avec des centaines de milliers de vidéos en plus, car tout est filmé et retransmis en direct, puis pointé sur des cartes montrant avec précision le mouvement des forces opposées.
Intox simplistes.
Ensuite l’inévitable est arrivé : une profusion de fake news, du genre séquence d’avions abattus par la DCA d’un jeu vidéo passé pour images d’actualités. Certains préfèrent tout simplement utiliser de vieilles photos et en changer la date et la légende. C’est l’occasion du retour en force du complotisme et de l’anti tout, antinazisme, mais aussi antisémitisme. Mais les debunkers, si nombreux de nos jours, font bien leur travail et décortiquent—quelques minutes après leur publication—les messages mensongers, et les vidéos modifiées. C’est le cas d’une censée avoir lieu de nuit avec sirènes hurlantes et gémissements de peur, mais dont les données montrent qu’elle a été tournée dans la journée ; ou alors une autre laissant apercevoir des plaques d’immatriculation des voitures anglaises sur un clip soi-disant tourné à Kiev.
Grand retour des Main Stream Media.
Pendant ce temps, CNN, Al Jazeera, ou France 24, passent en boucle les images de la guerre. Nous sommes loin de l’angst du journaliste couvrant la première guerre du Golfe (1991) et n’ayant rien à montrer si ce ne sont les quelques informations censurées venant des conférences de presse officielles. Nous sommes aussi loin de la « rétention d’information » américaine pendant l’invasion de l’Irak en 2003. Avec l’Ukraine, les grandes chaines puisent allégrement dans les réseaux sociaux pour choisir les meilleurs vidéos, ou utilisent le split-screen, les multiples fenêtres, montrant les correspondants aux quatre coins du globe discutant de concert l’évolution du conflit. Souvent aussi les journalistes risquent leur vie comme ce fut le cas du caméraman de Fox News Pierre Zakrzewski tué près de Kiev, de l’équipe de CNN se trouvant au milieu d’un assaut aéroporté russe, ou alors celle de Sky News prise sous le feu d’armes automatiques et continuant à filmer.
Mais où sont passées les grandes opérations de désinformation ?
Peut-être n’avons-nous rien vu, et rien compris ? Il y a certainement eu une campagne d’actions psychologiques en place, surtout du côté russe, utilisant savamment la propagande afin de monter en épingle « l’opération militaire spéciale », saper le moral des Ukrainiens, et créer la peur dans l’esprit des Européens de l’Ouest afin qu’ils s’abstiennent d’intervenir, tout en renforçant le patriotisme russe. On en a vu quelques soubresauts avant la guerre et une offensive percutante sur You Tube montrant l’efficacité incomparable de l’armée russe. Il y a aussi depuis peu une campagne contre la Russophobie suivant le slogan « Russian Lives Matter » mais ayant pour cible le peuple russe et non pas l’étranger. Ce fut aussi le cas de la menace qui fait vraiment peur, celle de la bombe atomique, ressortie par le ministère russe des Affaires étrangères qui annonça la mise en alerte de ses moyens de dissuasion, ou encore plus récemment le Kremlin accusant les USA et l’Ukraine de préparer des armes chimiques et bactériologiques. L’occident lui aussi avait apparemment commencé une déconstruction savante de l’image de Poutine, le nouvel Hitler, trainé dans la boue insalubre de certaines vidéos de TikTok et Instagram, mais il semble que cette campagne de dénigrement a eu peu d’effet sur la population russe.
Retour de la censure.
Si l’intox a fait faux bond, par contre l’arme fatale face à la désinformation, la censure, a bien fonctionné. C’était tout simple, les ponts virtuels ont été coupés entre Est et Ouest malgré une augmentation de 600% de l’utilisation de VPNs par les internautes russes. Mais qui veut se donner la peine de corroborer la véracité d’une dépêche de l’autre côté de ce nouveau rideau de fer ? Même à l’Ouest la propagande russe a fortement diminué. Russia Today en français et en allemand a cessé de diffuser, et les médias sociaux russes, tel VK, à cause de la barrière linguistique, sont d’un intérêt limité pour l’internaute de l’Europe de l’Ouest.
Conclusion.
Que présage cette nouvelle guerre dans le domaine des médias ? Que la censure est une arme efficace malgré la globalisation. Que les main stream medias, si décriés par les groupuscules extrémistes restent incontournables. Que les médias sociaux ne sont pas si puissants qu’on voulait nous le faire croire. La « Like War » ou guerre des likes (en référence au livre de P W Singer) dans le contexte du conflit ukrainien est décevante si ce n’est comme témoin direct des événements. Il semble préférable que les influenceurs ayant soi-disant un message politique se rabattent sur ce qu’ils font le mieux, permettre à leur côté narcissique de se laisser aller… et aux autres de se divertir.