Sécurité : L’armée tunisienne prépare-t-elle un coup d’État ?

Un article publié par l’obscur site JaFaJ annonce que l’armée tunisienne se préparerait à renverser le président de la République. Analyse de cette rumeur.
L’article en question, publié le 21 février 2022, citant plusieurs sources haut placées dans le gouvernement, les renseignements et même venant de pays étrangers nous apprend que les militaires tunisiens se préparaient pour un coup d’État et que le président Kais Saïd accepterait les conditions d’un départ anticipé. Les raisons de ce coup d’État sont vaguement définies, mais il est plusieurs fois répété dans l’article que le but des militaires serait de réduire, voire éradiquer l’influence des Frères musulmans en Tunisie. Cette mission accomplie par Kais Saïd, l’armée mettrait en place un nouveau gouvernement, menant ensuite le pays vers la stabilité et la prospérité. La parution de cet article controversé a fait l’objet de beaucoup de commentaires sur les sites d’information et les réseaux sociaux.
JaFaJ, un obscur site de veille dans le domaine du renseignement.
JaFaJ, au nom étrange et dont il semble difficile de définir l’origine, serait américain ou peut-être israélien. Les quelques articles publiés (une vingtaine au total sur deux années, ce qui est peu) sont dans un style simple, avec des paragraphes numérotés, ce qui se fait rarement aux États-Unis. Une lecture de quelques articles publiés semble montrer une volonté d’épater le lecteur par des scoops plausibles, mais peu probables du genre le Maroc, avec l’aide d’Israël, aimerait acheter des avions américains F-35 (78 millions de dollars pièce par rapport au F-16 qui coute dans les 20 millions), ou alors le fils de Khalifa Haftar (peu connu au dehors de Benghazi) pourrait être le nouvel homme fort en Libye. Mais ces informations venant soi-disant de sources confidentielles haut placées ne sont jamais corroborées.
JaFaJ semble avoir pour but d’influencer plus que d’informer suivant une volonté de surprendre le lecteur tout en poussant un agenda pro-Israël et anti-islamiste qui est souvent si flagrant qu’il en devient risible.
Coup d’État en Tunisie, réalité ou fiction ?
Si le deuxième président de la Tunisie est arrivé au pouvoir en 1987 à la suite d’un coup d’état « soft », c’est que Zine el-Abidine Ben Ali était déjà bien ancré dans le pouvoir, comme chef de la Sûreté nationale et ensuite Premier ministre, la transition avec un président qualifié par certains de sénile se fit paisiblement, et comme allant de soi. Elle ne peut être comparée avec celle par exemple de Mouammar Gaddafi en Libye dans les années soixante ou même Abdel Fatah Al Sissi en Égypte où l’armée s’est révoltée contre le régime en place.
A savoir aussi que si l’armée tunisienne a joué un rôle important pendant le Printemps arabe, protégeant le peuple, en tant qu’institution elle ne joue pas un rôle prépondérant en Tunisie à l’inverse d’autres pays d’Afrique du Nord comme l’Algérie, la Mauritanie ou l’Égypte. De plus, qui en Tunisie connait le nom des généraux qui commandent l’armée ? Très peu. L’armée tunisienne prend garde à ne pas être utilisée à des fins politiques, et même lors du virage historique du 25 juillet 2021, c’était en second rôle, derrière les forces de sécurité, que les militaires ont été déployés dans les rues de la capitale. Sans parler du fait que les deux officiers supérieurs commandant l’Armée de terre et l’Armée de l’air sont d’anciens attachés militaires, habitués de la diplomatie. On les voit mal prendre le pouvoir par la force puis paradant devant les médias, l’air farouche, entourés de soldats surarmés comme lors des récents coups d’État du Sahel africain.
Là où l’article semble se perdre, c’est au sujet de la raison du coup d’État et de l’après-coup. Les militaires attendraient que le président en finisse avec la « menace » islamiste pour ensuite prendre le pouvoir. Mais que faire de ce pouvoir ? Pourquoi simplement ne pas le laisser à l’actuel président ? Cela ne semble pas logique. Donc, si l’article de JaFaJ a le mérite de faire couler beaucoup d’encre et de forcer à réfléchir sur l’avenir de la politique tunisienne, il semble que la thèse d’un coup perpétré par l’armée serait de celles ayant avant tout comme but d’influencer, faire peur, discréditer l’armée, et renforcer le discours anti Nahda pourtant déjà bien présent dans les médias et les réseaux sociaux.